C’est une soirée littéraire et philosophique pour la restitution du numéro sur les Lettres sénégalaise de la revue Riveneuve Continents qui aurait dû se tenir à l’institut français de Saint-Louis du Sénégal voici plus d’un an, mais le Covid est passé par là. Toutefois, ce jeudi 16 juin au soir, plusieurs contributeurs étaient par chance à Paris : le professeur à Columbia Souleymane Bachir Diagne, l’enseignant-chercheur de l’Université Gaston Berger de Saint-Louis Moustapha Faye et jusqu’à la médiathécaire de l’institut Adama Pouye en formation en France, heureuse de retrouver son ancien directeur, Marc Monsallier, rentré de Saint-Louis en septembre dernier et retrouvant sa galerie Talmart, près du Centre Pompidou, où se tenait la soirée. Plusieurs protagonistes ont ainsi retrouvé un peu de la formidable soirée philosophique dans la cour de l’Institut français en février 2020 qui avait tenu en haleine pendant plusieurs heures tout un public jeune venu écouter Souleymane Bachir Diagne assurer que « Le futur n’est pas ce qui advient inéluctablement, mais ce que nous en faisons tous ensemble ». À Paris, il semblait bien que la plupart des membres de la réunion avaient eu, dans un passé plus ou moins proche, le philosophe comme professeur. Le panel se complétait du journaliste, enseignant et romancier Elgas et de l’étudiante Diari Sow qui a déjà deux romans à son actif. Quelque 25 personnes ont vibré à la lecture poignante d’extrait du journal de Diari Sow qu’elle tient depuis ses 14 ans, témoignant du spleen d’une jeune femme sénégalaise avec sincérité et une incroyable maturité ou de la nouvelle très autobiographique d’Elgas sur le rapport chargé de nostalgie et de mauvaise conscience qu’on peut avoir avec le territoire et les amis de son enfance quand on est parti. Les débats d’idée ont été intenses autour d’une jeunesse ballottée entre l’afro-pessimisme (guerres, crises, sécheresses, pauvretés, sous-développement, migrations…) et l’afro-optimisme depuis 2005 (saut technologique, dynamisme démographique, matières premières, espace de consommation en croissance…), entre le culte des idoles et des références comme l’œuvre et la personnalité de Victor Hugo selon Moustapha Faye qui inspire tant au Sénégal au point que certains sont convaincus, compte tenu de la puissance syncrétique de certains poèmes, qu’il était musulman comme eux, et le déboulonnage des statues comme celle de Faidherbe à Saint-Louis, mais aussi de ce même Victor Hugo depuis qu’ont été connus du public sénégalais ses écrits racialistes. Pour le jeune enseignant-chercheur, pourtant si généreusement respectueux pour le Professeur Souleymane Bachir Diagne et toute l’Institution universitaire, il n’est plus question désormais de se présenter « comme spécialiste de Victor Hugo » et il prophétise que la jeunesse n’en restera pas là et qu’elle va réinterroger toutes les figures… sans toutefois les nommer. Le professeur à Columbia a plaidé pour le temps long et la philosophie prospective du temps : « Le temps long est la victoire de l’intelligence créatrice sur les tendances lourdes qui nous désespèrent. On peut décider dès le départ d’être optimiste, ce n’est pas la méthode Coué, c’est, plutôt que de prolonger les tendances d’aujourd’hui selon des méthodes algorithmiques, de commencer par les bases de l’existant qui permettent l’imagination de demain ». Ainsi, la multiplication par 3 des classes moyennes sur le continent, le saut technologique du téléphone mobile sans passer par la filaire ou du e-banking, véritable invention de la jeunesse africaine, le développement d’une zone de libre-échange entre 51 pays… Surtout, l’ainé des intervenants à qui tous témoignaient une formidable gratitude, a tenu à son tour à remercier toute cette jeunesse éduquée, car elle forme sans doute la seule vraie gratification du métier de professeur. Il a ajouté avec malice que, étant toujours avec des étudiants du même âge année après année, il en conservait en retour une éternelle jeunesse.
Dernière minute : la revue sera officiellement présentée au Salon de la revue le samedi 15 octobre 2022. Halle des Blancs-Manteaux (Paris, IVe)
Pour revivre le voyage de Riveneuve au Sénégal, cliquez ici.
Sénégal. La jeunesse des Lettres, l’être de la jeunesse
Quand un pays a une population dont plus de la moitié a moins de 30 ans, comment s’étonner que la jeunesse s’invite à la table des débats multiformes de la société, en plein jour ou dans l’ombre intimidante des réseaux sociaux ? Et quand l’histoire, le présent, l’ancien monde, le nouveau, le local et le global, toutes les incertitudes de l’avenir s’emmêlent, c’est tout un pays comme le Sénégal qui est à la croisée des chemins. Quel horizon pour la jeunesse, quand les boussoles s’affolent, que la déconstruction décoloniale entraîne la déconstruction patriarcale mais qu’en même temps l’espace d’expression semble se restreindre, le projet social s’effriter, que la citoyenneté se cherche, que les identités s’ouvrent ou se ferment… la société apparaît bloquée, comme victime de l’expression accaparée ?
Crise de l’emploi ? Crise de l’éducation ? Crise des repères ethniques et religieux ? C’est peut-être là que s’ancre la singularité sénégalaise : le partage quasi unanime d’un héritage spirituel traditionnel omniprésent, rarement remis en cause, et l’aspiration à appartenir au monde moderne et irrévérencieux. Ceux qui apportaient des réponses aux questions des jeunes semblent n’être plus là, dans leur vécu quotidien ; les réponses seraient-elles dans les livres pratiques qu’on trouve en librairies, dans les slams des rappeurs, dans les romans des écrivains, sur les sites des bloggeurs, sur les toiles des peintres ou dans nos imaginaires reconstitués ?
Léopold Sedar Senghor l’art africain comme philosophie
Léopolod Sédar Senghor a cherché à exprimer quelle philosophie se lit dans les arts plastiques, les chants et danses africains. C’est cette attitude, d’abord herméneutique, de déchiffrage, qui est la vérité de sa philosophie. Afin de relire Senghor, aujourd’hui, il ne faut pas se donner la Négritude trop vite, affronter tout de suite les formules trop bien connues à quoi on résume sa pensée. Il faut savoir d’abord retrouver l’attitude première, la posture herméneutique que Senghor a adoptée dès ses premiers écrits pour répondre à la question qui fut aussi celle de Picasso : que veulent dire les masques africains ? Que disent ces objets que l’on a appelés des fétiches lorsque les dieux en sont partis ? Partant de cette question, Senghor, avec beaucoup de bonheur, a mis à jour une ontologie dans laquelle l’être est rythme et qui se trouve au fondement des religions africaines anciennes. De cette ontologie il a montré que les arts africains constituaient le langage privilégié.