C’est sous les applaudissements de la foule de ses amis et compagnons de route – une tradition italienne pour accompagner les hommes de théâtre au tombeau – que le cercueil de Gabriel Garran a été mis en terre au cimetière parisien de Bagneux, le 17 mai sous un soleil de plomb. Auparavant, des chants hébreux et yiddish ainsi qu’un violon avaient scandé les interventions de nombreux proches : des acteurs comme Pierre Santini ou celui qui a lu la belle lettre de l’actrice Marie-Christine Barrault remerciant Garran de “l’avoir mise au monde” en la choisissant en 1964 pour une pièce, des directeurs de théâtre fondés par lui comme François Regnault qui a rappelé la création du théâtre de la Commune à Aubervilliers qu’il a aussi dirigé, des écrivains dont les romans avaient été montés en pièce comme Nancy Huston qui a lu – en citant très distinctement l’éditeur Riveneuve-Archimbaud – des extraits de poèmes de son recueil “Filiation” dont elle était destinataire avant publication : “Immonde est notre territoire / Etre déporté sans retour / Voilà qu’on va me dissoudre/Ton prénom me saigne la bouche… Mon père est le mort inconnu…” Chacun a pu rappeler l’incroyable vie de ce trompe-la-mort, né Gabriel Gersztenkorn de parents juif polonais immigrés en France et obligé de modifier son nom en Marrance pour échapper aux nazis (la fusion des deux donnera Garran) tandis qu’une large partie de sa famille sera décimée, et finalement décédé à 95 ans. “C’est gagné !” pourra dire un acteur en rappelant ses différents accidents puis l’épopée du théâtre de la Commune autant que celle du Théâtre international de langue française qui a donné à voir et à entendre des pièces québécoises, maghrébines ou sénégalaises avant tout le monde. Mais la poésie était le véritable fil rouge de cette cérémonie pendant cet après-midi chaud, sous les arbres d’un cimetière où la mère de Gabriel Garran est aussi enterrée. Ainsi, l’actrice Rebecca Aïchouba a pris en main le deuxième recueil : “Ce que j’ai à dire” (Riveneuve/Archimbaud 2019) tandis que Tania Sikounas, jeune actrice ayant aidé le vieil homme à mettre ses archives en ordre et à classer ses poésies avant publication, en a repris des strophes inspirées : “On trouvera à la place de mon corps, mes poèmes”. Avec Michel Archimbaud (tandis que d’autres auteurs Riveneuve étaient présents comme Jean-Paul Farré ou François Regnault), nous avons rendu un dernier hommage à cet “homme sombre qui répand de la lumière” en le prenant au pied de la lettre et en déposant son dernier recueil tout près de son cercueil.