Coup double à la Halle des Blancs Manteaux (Paris 4e) ce long week-end du 5-7 septembre : le premier salon des éditeurs indépendants d’Ile de France, « Lisons Libres ! », a convaincu près de 10 000 personnes malgré le beau soleil encore estival et la « première journée d’accélération » du secteur édition du programme ICCARE (programme de mise en réseau des chercheurs en sciences numériques et sciences humaines avec les professionnels des industries culturelles et créatives) consacrée à « l’IA et la littérature, entre fantasmes et réalité ». Pour preuve : les longs applaudissements en clôture du salon le dimanche soir et ceux nourris à la fin des tables rondes et ateliers du vendredi et du samedi où chercheurs, éditeurs et écrivains ont échangé sur leurs usages, leurs craintes ou leurs perspectives de l’introduction des algorithmes et de l’IA générative dans la chaîne du livre, depuis la correction, la création de couverture ou la rédaction d’argumentaires jusqu’à celle de livres elle-même. L’analyse de textes générés ou pas par IA après la lecture de la comédienne et autrice Bénédicte Nécaille tout comme la rédaction de prompts par l’écrivain-blogger Thierry Crouzet ont été éclairantes pour les publics. Les éditrices comme Sophie Lemonnier (Editions addictives) ou Sophie Courault (Editions ESF sciences humaines) ont pu témoigner de leurs usages maîtrisés, au-delà de l’effet premier bluffant de l’IA qu’on interroge pour résumer un texte ou analyser des manuscrits, et des limites de l’exercice (ratage de personnages importants, limites de thématiques censurées, propositions conventionnelles et déjà vues…). Les scientifiques se sont attachés à rappeler ce que fait et ne fait pas l’IA, prise aujourd’hui dans une bulle spéculative aux forts impacts environnementaux, ouvrant des perspectives, des possibilités d’action dans des territoires trop chers pour être explorés (communication vidéo, documentations, multiplication de propositions, traduction pour une première approche de textes étrangers des quatre coins du monde…), mais présentant aussi des dangers pour la création comme pour l’emploi (13% de postes détruits par l’IA aux USA depuis 2022 selon l’Université Stanford). Côté écrivains (et les universitaires qui écrivent et étudient comme Camille Bloomfield ou Alexandra Saemmer), les usages sont largement dans la continuité des expérimentations de l’Oulipo, des « scriptgenerators » de la littérature de sciences fictions ou de la « machine littérature » d’Italo Calvino, mais la première sélection au plus grand prix littéraire japonais d’un texte partiellement généré par IA en 2016 inquiète. Les écrivains seront-ils bientôt que des réacteurs de prompts ? Si, comme le justifiait l’académicien informaticien Serge Abiteboul, la rédaction d’un ouvrage faisant le point sur toutes les recherches archéologiques d’un pays n’a pas besoin d’avoir une écriture originale, il n’en est pas de même pour le roman ou l’autofiction. « Et il y a un tel plaisir et besoin à écrire soi-même ! », comme en ont témoigné divers autrices et éditeurs. Peut-être faut-il penser à un système façon Nutri-score pour indiquer, en toute transparence, la part de l’IA dans chaque ouvrage ? A la réception pour l’ouverture du salon le vendredi soir, la présidente de l’association organisatrice (EDIF) Laurence Faron, a présenté l’ambition de ce premier salon de l’édition indépendante dans un environnement de concentration des grands groupes et remercié de leur soutien la maire-adjointe de Paris-Centre Benoîte Lardy, l’auteur parrain de l’événement Gilles Marchand et la co-directrice du programme ICCARE Solveig Serre qui a fait applaudir les trois organisateurs des débats sur l’IA : l’académicien Michel Baudoin-Lafon, le professeur de Lettres Alain Schaffner, le député candidat à la mairie de Paris Emmanuel Grégoire et l’éditeur Gilles Kraemer. Sur le stand de Riveneuve à l’entrée gauche du salon, 14 autrices et auteurs ont dédicacé leurs ouvrages et offert une belle visibilité aux collections Pépites Jaunes (avec Ousmane Ndiaye et Joël Assoko) ou Comprendre les peuples (avec Loïc Hervouet et John Reichenbach) mais aussi à la rentrée littéraire avec Jean-François Galletout (« impuissances » en coédition avec Plan B éditions) et « La nuit barbare » de Zadig Hamroune. Des journalistes comme Christian Chesnot et Pierre Haski d’Inter sont passés les rencontrer tandis que l’artiste France Dumas, qui donne son identité visuelle à tout le format poche de la maison, a animé un véritable atelier de tampons pour les grands comme pour les petits. Double succès, donc. Le rendez-vous est déjà pris pour l’an prochain !

















