À l’invitation de l’Institut français de Paris qui réunissait le mercredi 31 mai à la Gaité Lyrique une trentaine de chargés du livre des Instituts de par le vaste monde, le sociologue et auteur Elgas et son éditeur Gilles Kraemer sont intervenus sur le sujet très à la mode de “l’appropriation culturelle”. Animant le débat, le professeur Yves Chemla a replacé la notion dans son contexte historique et sa première définition de l’université québécoise (“une culture majoritaire tire avantage d’une culture minoritaire par l’oppression”) avant de laisser s’exprimer trois auteurs : Nedjma Kacimi (roman Sensible), Timothée de Fombelle (saga Alma pour la jeunesse sur le commerce triangulaire des esclaves) et Elgas (Les Bons ressentiments. Essai sur le malaise post-colonial) ainsi que l’éditeur de Gallimard Jeunesse et le directeur de Riveneuve. Si Nedjma Kacimi – qui en a souffert du fait de son patronyme – associe d’emblée comme le revers d’une même pièce ce concept à “l’assignation culturelle”, Elgas a rappelé qu’il y avait d’abord “expropriation culturelle” avec la colonisation. “Le concept d’appropriation culturelle fait vivre aujourd’hui à des personnes blanches, non racisées, des expériences désagréables, et j’en suis heureuse”, a pu dire Nedjma Kacimi en ce sens que cela fait prendre conscience à ceux qui ne l’ont pas du malaise dans lequel se trouvent souvent les autres. Thimotée de Fombelle, dont les éditeurs américains et anglais ont finalement décidé de ne pas publier son ouvrage parce qu’il y a trop de Blancs qui parlent de la traite des Noirs (selon lui, il n’y a que quatre récits écrits d’esclaves noirs ayant connu la traite qui nous soient parvenus à ce jour), a reconnu que ce malaise n’était pas insurmontable tout en plaidant pour la liberté de création et du créateur. Un message qu’avait tenu juste avant Constance Rivière, directrice générale du Musée de l’histoire de l’immigration de la Porte dorée. La question désormais taraude les auteurs dans leur responsabilité, les éditeurs, les bibliothécaires, les libraires et aussi les programmateurs dans les services culturels français à l’étranger. Pour les éditeurs, si Gallimard fait du cas par cas, notamment dans sa diffusion d’auteurs africains en Afrique, Gilles Kraemer a pu témoigner des difficultés d’une petite maison d’édition indépendante “qui raconte le monde aux Français et les Français au monde” dans son souci de rendre accessibles à leur public des auteurs étrangers dans leur propre pays. Ne lui a-t-on pas dit en Tunisie, contre toute évidence et de la part de l’éditeur tunisien, que l’ouvrage d’Hatem Nafti sur la politique tunisienne “était écrit pour les Français parce que les Tunisiens savent déjà tout ça” et, mieux encore, ne lui a-t-on pas fait, depuis les services de l’ambassade de France, un reproche en néo-colonialisme de vouloir expliquer la Tunisie aux Tunisiens depuis la France ? En oubliant tout simplement que l’auteur est tunisien et pleinement légitime… Elgas, avec son humour, a eu le mot de la fin : “Déranger, il faut aller épouvanter tout le monde ! ” C’est le prix de la liberté, le pire danger étant d’être tétanisé et de ne plus rien faire. 

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